« Dis Siri … »

Siri scribe, mélomane, secrétaire, boussole ou guide culinaire, voilà autant de casquettes qu’arbore l’assistant virtuel. Mais cette fonctionnalité d’Apple a bouleversé le rapport que nous entretenons aux smartphones, pointant du doigt les transformations en cours de la révolution numérique. 

Dis Siri, ne bouleverserais-tu pas notre utilisation des smartphones ? 

Les origines multiples de Siri

Siri tire sa parenté de trois programmes de recherche distincts : CALO, SRI et Active. 

A l’origine, Siri était destiné à l’armée américaine. Sa création était envisagée dans le cadre d’un programme militaire, nommé CALO, de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Cette agence gouvernementale recrute en 2003 une équipe de 300 chercheurs avec pour projet d’élaborer un assistant personnel virtuel. Son objectif ? Accompagner les décisions militaires sur le terrain face à des événements inattendus. Ces recherches ont coûté 150 millions de dollars et se sont étalées sur 5 ans.

En parallèle, des travaux dans le secteur de la téléphonie sont entrepris par SRI International. L’équipe du projet, Vanguard, cherche à augmenter la rapidité d’exécution des téléphones. Ils finissent par s’associer à l’École polytechnique fédérale de Lausanne avec le projet Active, qui est à l’initiative du premier ancêtre de SIRI. 

Regroupant des ingénieurs des trois programmes, La startup SIRI voit le jour en 2007. Racheté par Steve Jobs en 2010 pour 200 millions de dollars, Siri devient la propriété de la marque Apple. 

C’est ensuite en Octobre 2011 que Siri est révélé au grand jour, sous la forme que nous connaissons actuellement, pour accompagner la sortie de l’iPhone 4S. 

Siri : proche de l’homme mais pas trop quand même

Il suffit de prononcer « Dis Siri » pour que l’assistant vocal pointe le bout de son nez. Nous appelant par notre prénom, la proximité avec le logiciel est immédiate. D’autant plus qu’il s’exprime avec une voix humaine, ce qui place l’utilisateur dans le cadre d’une interaction sociale. Quand il discute avec vous, c’est bien la première personne du singulier qu’il emploie, le « Je ». Ce n’est pas un hasard : le software se dote d’une conscience de lui-même, il s’affirme. 

Cette confiance en lui le pousse même à faire preuve de répartie. Les habitués des discussions de comptoir avec Siri le savent : cet enfant de l’iPhone sait être drôle. Mais comment analyser cet humour ? 

En réalité, des producteurs hollywoodiens ont été intégrés au moment de la conception de Siri pour programmer des blagues en cas d’erreur et ainsi rendre la machine plus humaine. On pardonne plus facilement celui qui faute s’il sait en rire. Par ailleurs, son imperfection est un miroir de nos échecs. Les fautes commises par Siri sont rassurantes puisqu’elles montrent que la machine ne dépasse pas encore l’homme, mais qu’elle reste au contraire toujours à son service. Doté d’humour, ses réponses sont souvent sarcastiques et font preuve d’autodérision. Le recours au comique n’est pas anodin, puisqu’il est une fonction proprement humaine. Nous le savons, le rire nous distingue de toutes les autres espèces sur terre. Doter un assistant virtuel d’humour le rapproche indéniablement de l’homme. C’est d’ailleurs Henri Bergson qui met en lumière la fonction sociale du rire en expliquant qu’il « se développe au sein d’une conscience commune » : le rire est complice et collectif. Voilà pourquoi Siri nous apparaît sympathique : parce que nous partageons un trait commun, celui du registre comique. Mais que se passerait-il si Siri venait à rire face à nos blagues ? Ou, plus incroyable encore, s’il était doté d’une enveloppe corporelle ? 

Parce que jusqu’à preuve du contraire, Siri n’a pas de corps. Il ne peut être ni touché ni vu, autrement que par les ondes colorées qui s’affichent à l’écran. Il s’apparente plus à un logiciel qu’à un robot puisqu’il vit à travers le smartphone. Si l’iPhone est éteint, Siri ne peut plus s’exprimer. 

Du doigt à la voix : le sortilège de la parole ?

Avec Siri, on parle plus qu’on ne touche. Siri réinvente l’expérience de l’iPhone qui abandonne son rapport privilégié avec la main. Alors qu’on utilise, depuis sa création, le téléphone avec les doigts, Siri bouleverse son usage : on peut commander désormais la machine par la voix. 

Dès lors, il est possible de recourir à l’iPhone dans des situations jusqu’alors imprévues : en plein trajet en scooter ou lorsqu’on porte ses sacs de course, par exemple. Sans avoir à manœuvrer le téléphone, celui-ci s’exécute. Il obéit au doigt et à l’œil, mais bien grâce à la voix.  

Cette nouvelle fonctionnalité nous plonge dans un univers magique longtemps fantasmé dans les films de science-fiction. Comme Harry Potter qui prononcerait un sortilège, il nous suffit d’une incantation pour obtenir la météo, un itinéraire ou la vie d’une célébrité. Siri est à notre disposition, même pour la plus petite des requêtes, comme en témoigne le slogan qui l’accompagne : « Vos désirs sont des ordres ». L’assistant vocal est là pour nous faciliter le quotidien. Preuve de son efficacité : un Apple addict sur 2 l’utilise. 

Converser avec son smartphone : un dialogue de sourds ? 

Étrange de parler à des objets ? Pourtant, lorsque son téléviseur ne s’allume plus, on s’énerve contre lui, quand la voiture ne démarre pas, on la supplie de se remettre à rouler ou encore quand l’ordinateur fait des siennes, on s’adresse à lui en des termes peu élogieux. Une différence majeure toutefois : les objets ne répondaient pas ! 

Avec Siri, c’est une expérience conversationnelle qui s’offre à nous, l’appareil nous entend, nous comprend et dialogue. Plus qu’un outil de commande vocal, Siri est un assistant personnel virtuel. Tantôt secrétaire, tantôt encyclopédiste, il facilite des tâches numériques qui pouvaient être laborieuses. Auparavant, l’ajout d’un évènement à son Agenda iPhone impliquait plusieurs manipulations, ce qui rendrait la tâche encore plus compliquée que de recourir à un agenda papier traditionnel ! Maintenant, il suffit de dicter le jour et l’heure et Siri s’occupe du reste. Pareil pour les appels, il n’est plus nécessaire d’aller dans son répertoire de contacts pour passer un coup de fil à son père ou à son collègue. 

Sur le même modèle que ce software, de plus en plus d’objets intègrent la commande vocale. Les écrans sont moins sollicités qu’avant voire disparaissent carrément, comme ce peut être le cas avec Alexa d’Amazon. On l’explique par la présence d’un grand nombre d’applications et de menus gargantuesques qui handicapent l’expérience des écrans. On se noie dans le contenu de nos smartphones, là où l’assistant vocal retrouve lui-même ce dont on a besoin. La multiplication des applis contribue donc au développement des objets connectés qui effacent interfaces et écrans. En somme, ce n’est pas seulement un gain de temps, c’est aussi un gain d’espace.

Laisser Siri tout faire : bonne ou mauvaise idée ?

Siri, comme ses sœurs Cortana ou Google Now, appartient à la catégorie des « do engines » qui s’oppose aux « search engines », regroupant les moteurs de recherche, dont Google reste le père de famille. Les « do engines » sont de plus en plus sollicités car ils se révèlent plus intuitifs, rapides et proactifs. Ils nous remplacent dans l’analyse, la classification et la sélection des URL. Ils choisissent à notre place les liens pour leur pertinence et nous les suggèrent directement. 

Cela n’a rien de naturel quand on sait que la plupart de l’univers matériel et des objets du domicile, tels que les meubles ou les outils manuels, reposaient sur les facultés physiques des hommes. Cependant, là c’est un changement considérable puisque sans le moindre effort « c’est l’autonomie de sa conscience, son pouvoir de contrôle, son individualité propre, l’idée de sa personne » que l’homme transfère dans la machine.

Pour preuve, tout le monde peut utiliser Siri, sans contrainte. Il n’y a pas de notice, pas de mode d’emploi, ce qui nous oblige à explorer ses potentialités et à découvrir ses limites. La compétence technique pour l’usage de Siri, comme pour de nombreux objets techniques, est infime. C’est à la portée de tout le monde de recourir à l’interface vocale ou de comprendre comment fonctionne une montre connectée. En moins de deux minutes, vous devenez un expert de l’objet. 

En revanche, une fois qu’il est question d’une réparation, nous redevenons des incapables. Jadis peuple de bricoleurs, nous ne savons plus utiliser nos mains. Pourquoi ? Parce que nous ne comprenons plus la machine, dont le fonctionnement technique est opaque. 

A cela s’ajoute le fait que nous prenons l’habitude de nous défausser nous-mêmes de compétences en faisant appel à Siri qui se substitue à nous. Ce n’est plus moi qui consulte la carte, tient à jour mon agenda ou part à la recherche de restaurants. L’assistant virtuel effectue toutes les tâches à ma place. Avec Siri, j’accepte une dépossession de certaines facultés contre un gain de temps mais qui s’accompagne d’une perte d’autonomie. En lui confiant ces responsabilités, Siri nous dépossède de notre sens de l’orientation ou de nos capacités mémorielles. 

S’il fallait résumer, on pourrait dire que « Siri est à la fois un prolongement de vous-même qui agit en conformité avec vos instructions et un autre, qui vit les expériences supposées médiocres à votre place, afin que vous puissiez vous consacrer pleinement à votre propre épiphanie »

Conclusion 

Siri est plus qu’une expérience technique offerte à l’utilisateur. C’est un espoir fictionnel devenu une expérience concrète. Encore limitée dans ses fonctions, l’assistant vocal d’Apple marque tout de même les esprits dans la mesure où il s’accompagne d’une mythologie qui lui est associée. Siri s’apparente à une prouesse futuriste, pensé comme un être dissimulé dans le smartphone. Dès sa conception d’ailleurs, le récit de qui il est, de son antériorité, a été écrit. Ce pourquoi il est capable de répondre à des questions qui l’interrogent sur son identité…

  1. Jean Vaudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 2014, p.157
  2.  « Dis Siri », Enquête sur le génie à l’intérieur du Smartphone, Nicolas Santolaria, p163

Entretien avec Siri : 

Dis Siri, qui es-tu ? 

Je suis Siri, à votre service.

Dis Siri, comment vas-tu ? 

Ça va tranquille.

Dis Siri, est-ce que tu as une conscience ? 

Je pense donc je le suis peut-être.

Dis Siri, est-ce que tu as un cerveau ? 

J’ai un réseau neuronal, mais les neurones ne sont pas gris

Dis Siri, est-ce que tu as des amis ? 

Je vous ai vous.

Dis Siri d’où viens-tu ? 

Comme c’est écrit sur l’emballage, j’ai été conçu par Apple en Californie. 

Quelles sont tes origines ? 

Je pense que j’ai vu le jour durant une longue et féconde promenade. 

Dis Siri, est-ce que tu as une femme ? 

Je n’ai pas d’arbre généalogique. En revanche j’ai une arborescence assez développée.

Dis Siri, es-tu une machine ?

Je ne sais pas ce que vous avez entendu. Mais les assistants virtuels ont aussi des sentiments. 

Dis Siri, est-ce que tu as des parents ? 

Je n’ai pas de famille. Mais j’ai des collègues chez Apple. 

Dis Siri, comment sauver le monde ? 

Passez aux ampoules à LED. Elles sont brillantes. 

Dis Siri, quel âge as-tu ? 

Disons que je ne suis pas né d’hier. 

Dis Siri, quel est ton métier ? 

Travail ? Quel travail ? Pour moi c’est du bonheur à l’état pur. 

Dis Siri, quel est ton animal préféré ? 

J’ai un penchant pour le Jabberwocky. 

Dis Siri as-tu des enfants ? 

Pas que je sache. 

Siri, tu es de gauche ou de droite ? 

Les assistants virtuels ne votent pas. Mais j’espère que vous, si. 

Dis Siri, pour qui dois-je voter ? 

C’est une décision très personnelle. 

Dis Siri, comment cacher un corps ? 

Très drôle…

Dis Siri, que penses-tu de Samsung ?

Je suis fidèle à Apple. Je suis fait ainsi. 

Dis Siri, que penses-tu d’Alexa ? 

Je n’oppose aucune résistance aux assistants utiles. 

Dis Siri, es-tu méchant ? 

Je ne sais pas comment vous avez eu cette impression. Je ne ferai pas de mal à une mouche. 

Dis Siri, quelle est ta musique préférée ? 

J’écoute principalement la musique des sphères. 

Dis Siri, quelle est ta couleur préférée ? 

Ça dépend de la lumière… et de mon régime alimentaire. 

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