La carte bancaire sur le téléphone : bonne ou mauvaise idée ?

Oubliée dans un bar, retrouvée dans la poche d’un jean après un cycle à 40° (avec essorage rapide, aïe) ou simplement tombée au fond d’un sac entre un trousseau de clés et une pomme… nos cartes bancaires ont une vie mouvementée ! 

Mais peu à peu, et malgré les réticences de certains, le paiement sans contact sur le téléphone devient la norme. Plus rapide, plus facile, voir son voisin de caisse agiter son portable au-dessus du terminal de paiement n’est plus une scène exotique. Mais alors, quel impact sur nos manières de consommer ?

L’Asie, fer de lance des paiements mobile

Longtemps à l’avant-garde des innovations en matière de paiement, l’Europe et les Etats-Unis se sont largement laissés dépassés par la Chine, qui montre une adoption bien plus large du paiement par mobile et des portefeuilles dématérialisés. Les consommateurs chinois sont plus d’un milliard à avoir payé avec leur téléphone dans un magasin, un restaurant ou une boutique en ligne en 2020. Si depuis notre 10ème position sur le classement – avec 7,6 % de consommateurs concernés, et un volume moyen de 2,333 $ par an – nous pouvons penser que cette habitude est encore rare, force est de constater que pour toute l’Asie du Sud Est et l’Inde, la révolution des transactions mobiles est une réalité

D’après le World Payment Report, la COVID-19 a interrompu la croissance des volumes mondiaux de transactions non-monétaires, mais l’enthousiasme pour les paiements numériques compense largement la baisse. D’ici 2022, les paiements mobile devraient représenter un total de 14 000 milliards de dollars dans le monde. 

Où est passée la « douleur de payer » ?

Si ces nouveaux modes de paiement représentent une avancée majeure, il est important de constater qu’ils ont une influence non négligeable sur nos habitudes de consommation. De plus en plus de commerçants les acceptent, et ce n’est pas un hasard. Ces méthodes de paiement contribuent à dépenser de façon moins rationnelle et raisonnable. 

En effet, plus le processus de paiement est indolore et rapide, plus un consommateur est disposé à payer sans compter. De nombreux mécanismes psychologiques et biais cognitifs interviennent et influencent le processus de décision. C’est ce que le chercheur Ofer Zellermayer a nommé la « douleur de payer ». 

En 1996, il étudie alors la manière dont les émotions peuvent affecter les choix de paiement des consommateurs. Pour lui, la « douleur de payer » est un déplaisir immédiat, voire une douleur psychologique, que l’on peut ressentir lors d’un acte d’achat. En allant plus loin, d’autres chercheurs – George Loewenstein et Drazen Prelec – ont montré que ce phénomène que nous ressentons lorsque nous sommes endettés est l’une des raisons pour lesquelles les individus régulent leurs propres dépenses. Ouf. 

Loin des yeux… loin du cerveau

Or, la douleur de payer est directement liée aux caractéristiques du moyen de paiement utilisé. Et plus précisément : à sa forme, l’importance du montant, et le délai entre l’acte d’achat et la perte réelle de l’argent sur votre compte. Plus concrètement, payer en espèces est un acte particulièrement douloureux puisqu’il implique de voir un élément physique – des pièces et des billets – quitter directement votre portefeuille pour aller dans la main d’un autre. 

À l’inverse, le paiement par mobile est particulièrement indolore puisqu’il crée une distance physique et temporelle. Il en devient presque “invisible”. Alors, le plaisir de la consommation l’emporte sur la douleur psychologique de la dépense. C’est pourquoi les recherches montrent que les consommateurs qui utilisent régulièrement des méthodes de paiement numériques ont tendance à dépenser des sommes plus importantes et à prendre des décisions de dépenses plus rapidement et de manière moins rationnelle. Et notamment, à multiplier les petits achats : cafés, confiseries, vêtements,…

Par ailleurs, pour que la douleur de payer soit plus faible – au-delà du moyen de paiement utilisé – Zellermayer a identifié six caractéristiques majeures :

  • La transaction doit être vue comme équitable, le consommateur doit avoir l’impression de payer le prix juste ;
  • La transaction doit être vue comme un investissement, plutôt qu’une consommation pure ;
  • La transaction doit être un payée immédiatement, plutôt que prélevée plus tard ;
  • La dépense devrait être faite pour le bien de quelqu’un d’autre ;
  • Le consommateur doit avoir l’impression qu’il est libre de son choix
  • La transaction doit avoir lieu avant la consommation, plutôt qu’après. En effet, le chercheur a constaté que les individus n’apprécient pas ressentir le poids de l’argent dû, c’est pourquoi ils préfèrent payer pour un bien ou un service avant qu’il ne soit consommé. 

Ses études ont également révélé que le coût de l’achat a moins d’influence sur la douleur de payer que les éléments contextuels listés ci-dessus. Ces facteurs sont tous liés à la « comptabilité mentale ». A savoir, les différentes valeurs que les consommateurs accordent à la même somme d’argent, en raison de sa subjectivité.

Combiner paiement par téléphone et espèces pour des habitudes plus saines

Il est naturel de vouloir dépenser sans culpabiliser. Pour autant, il est important de prendre des décisions rationnelles, en pleine conscience du coût et des conséquences de l’achat. Il est donc parfois difficile pour les consommateurs de trouver le bon équilibre entre ces deux impulsions concurrentes. « Je ne pense pas que nous devrions vivre dans la misère tout le temps et ressentir la douleur de payer. Il s’agit de savoir dans quelles catégories nous voulons dépenser plus et dans quelles catégories nous pensons que nous dépensons trop et que nous voulons réduire. » explique Dan Ariely, économiste comportemental et auteur de Predictably Irrational: The Hidden Forces That Shape Our Decisions.

Différentes approches permettent de rester rationnel (ou au moins, le plus rationnel possible), dans le processus d’achat. Tenir un journal de dépenses permet, par exemple, de raviver une partie de la douleur de payer perdue par le paiement mobile. De nombreuses applications permettent également de suivre et de catégoriser ses dépenses pour avoir une vision plus claire de ses achats. Certaines proposent même d’attribuer des budgets à chaque poste pour être alerté quand ils sont dépassés, afin de contenir les achats impulsifs. Plus simplement, il est possible de faire ses courses avec une somme limitée en espèces. L’argent liquide reste le meilleur moyen de limiter ses dépenses, car la douleur de payer est immédiate. 

Qu’elle soit physique ou psychologique, la douleur est notre système d’alerte. Si le paiement mobile a déjà fortement limité cette barrière psychologique à l’achat, on peut également se demander si la remise en cause du statut même de l’argent par les cryptomonnaies – et leur nature intrinsèquement virtuelle – influencera davantage nos comportements de consommation. Pour le meilleur… ou pour le pire.

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